On le surnomme parfois « L’encyclopédie du porno ». Comment ne pas se tourner vers lui pour discuter de l’un des plus grand classiques du genre, le mythique Derrière la porte verte ? Ca tombe bien, il venait justement le présenter au Nouveau Latina lors de l’Absurde séance le 17 avril dernier. Le hasard fait bien les choses ! X-Intime - J’imagine que tu ne vois pas Derrière la porte verte pour la première fois ce soir. Peux-tu nous parler de la fois où tu l’as découvert ? Pierre Cavalier - La première fois que je l’ai vu, c’était il y a… Bien longtemps. J’imagine que ce devait être autour de 1985, ça fait donc environ 25 ans. Evidemment, j’avais déjà vu un certain nombre de pornos avant de le découvrir, donc c’était probablement moins un choc pour moi que pour ceux qui l’ont vu à l’époque de sa sortie, mais ça reste un film qui a un certain nombre de qualités et que je n’ai pas oublié depuis, on le retient forcément quand on le voit. Forcément la jeune génération qui le découvre aujourd’hui… Je serais curieux de voir leur réaction, la réaction des spectateurs de vingt ans : ils en rigoleront beaucoup, ils se diront que le film n’est pas très porno, qu’il ne va pas très loin, mais il faut vraiment imaginer ce que ça peut représenter en 1972. Lorsque l’on aime le porno, qu’on en a vu quelques uns, et que l’on se remet dans le contexte, on mesure assez bien l’impact que ça a pu avoir. Aujourd’hui, c’est un tout autre débat, forcément. X-Intime - Tu le situes comment par rapport aux autres pornos de l’époque ? Pierre Cavalier - Derrière la porte verte est un film particulier car il s’agit probablement du premier film d’auteur porno. A cette époque, il y a déjà eu un certains nombre de films dont certains sont même sortis en salles, notamment Gorge profonde en juin 1972 mais aussi A History of the Blue Movie d’Alex de Renzy en 1970. Derrière la porte verte est sorti en décembre 1972 et s’il a autant marqué son époque et sa génération, c’est parce qu’il n’est pas seulement un film générationnel mais aussi un film qui correspond à une ambiance, à un mode de vie même. Le film tourne autour du théâtre O’Farell des frères Mitchell, qui sont les réalisateurs du film. Et dans ce théâtre, il y a une ambiance extrêmement délétère : on est en plein mouvement hippie, en plein Flower Power, et il y a une vraie liberté autour de ce théâtre qui est situé à San Francisco et dans lequel les frères Mitchell diffusaient leurs films. La diffusion de ce film là , très particulier, qui commence par un enlèvement et se poursuit par des images très esthétiques, est tout à fait dans l’air du temps. Il y a aussi tout un tas d’éléments qui tournent autour de ce film, notamment Marilyn Chambers, et qui en font probablement le plus culte de tous les pornos. X-Intime - Que peux-tu nous dire de Marilyn Chambers, justement ? Pierre Cavalier - Effectivement, il faut absolument parler de Marilyn Chambers. C’est une fille de la middle class américaine, dont le père travaille dans la publicité. Elle-même pose pour une publicité pour le savon Ivory, dans laquelle elle apparaît avec un enfant. Elle a une image très virginale, d’autant que c’est une très jolie fille, très pure. La voir jouer dans ce film porno a d’autant plus déclenché le scandale. Ivory lui a intenté un procès, toutes les publicités ont été retirées. D’autant que les frères Mitchell, très provocateurs, avaient détourné le fameux slogan de la pub devenu « Impure à 99,4% » au lieu de « Pure à 99,4% ». Il y a eu toute une animation autour du film, qui a contribué à sa notoriété et sa légende. Il est vrai que le film en lui-même diffère des autres par une approche beaucoup plus esthétisante, presque mystique, notamment en raison de sa quasi absence de dialogues : il ne s’agit que de scènes qui se suivent (deux scènes en l’occurrence, une première scène lesbienne suivie d’une orgie). Et il y a dans ces scènes un climat très étrange, ainsi qu’une façon très provocatrice de montrer cette pornographie. Tout ça, le contexte de l’époque, le scandale créé autour, a fait le succès du film. Bien plus que Gorge profonde par exemple, qui est une comédie assez proche de ce que l’on a l’habitude de voir, et un film plutôt raté et qui a très mal vieilli. Alors que Derrière la porte verte supporte encore la vision, et je me disais même qu’il n’avait pas tant vieilli que ça notamment grâce à ses décors un peu intemporels. X-Intime - Quel est selon toi le film porno de cette époque qui a le mieux supporté le poids des années ? Pierre Cavalier - Derrière la porte verte n’a pas beaucoup vieilli. Il y en a quelques autres qui sont des films d’époque, donc qui ne vieillissent pas ou très peu. Je pense notamment à Story of Johana qui est pour moi le plus grand film de l’histoire de la pornographie et qui n’a pas pris une ride, mais il se passe au XIXème siècle donc c’est plus facile. Et puis finalement des grands films qui bénéficient d’un vrai scénario, d’une vraie mise en scène, d’une espèce de provocation aussi, d’une façon de montrer le porno très excessive. Les réalisateurs de cette époque étaient entre autres inspirés par la Nouvelle Vague, ils adoraient Godard par exemple et s’en inspiraient beaucoup, donc ils avaient une manière de filmer elle aussi très excessive. Un film comme Femmes de Sade d’Alex de Renzy, ça ne passerait plus aujourd’hui, c’est extrêmement provocateur. Ce serait impossible de voir sur Canal+ un de ces films diffusé aujourd’hui. Alors c’est sûr, il y a les costumes, les rouflaquettes, les pattes d’éléphant, les poils, qui marquent le film dans son époque. Mais malgré tout, il y a une modernité dans la provocation qui le rend d’actualité, qui le rend même encore plus moderne. X-Intime - Le film a rapporté combien au box-office, a-t-on les chiffres ? Pierre Cavalier - Oui bien sûr : le film a rapporté environ 600.000 dollars sur ses six premiers mois, puis vingt millions de dollars durant les trois années suivantes. C’est donc un film qui a très bien marché. En termes de budget, il s’agissait d’un film assez important, les frères Mitchell étant plus fortunés que beaucoup d’autres réalisateurs, qui avait coûté 60.000 dollars. Il faut savoir que Gorge profonde par exemple en avait coûté 25.000, donc moins de la moitié. Marilyn Chambers était payée très cher puisqu’elle a touché un cachet de 2.500 dollars, plus un intéressement sur les bénéfices qui lui rapportait plus de 2.000 dollars par mois, ce qui représentait beaucoup d’argent en 1972. C’est un film qui a aussi permis au frères Mitchell de devenir riches, d’ouvrir une dizaine d’autres salles à San Francisco et Los Angeles, de produire des films bien plus importants par la suite, tels que Sodome et Gomorrhe qui a coûté 600.000 dollars, soit un budget vraiment énorme pour l’époque. Ils ont aussi produit un Derrière la porte verte 2 en 1986, qui a pour sa part très mal marché, il s’agissait d’un film entièrement safe avec préservatifs. X-Intime - C’était le film avec des mecs déguisés en boucs perchés sur des trapèzes ? Pierre Cavalier - Exactement, c’est bien ça. Et ce film a coûté lui aussi très cher et a été un échec commercial. Mais le premier Derrière la porte verte leur a permis de devenir très riches. Tellement d’ailleurs qu’ils ont fait beaucoup d’excès, ils étaient de vrais nababs milliardaires, très partouzeurs, qui organisaient beaucoup d’orgie remplies de drogues. Au final, on sait comment tout cela a fini : en 1991, Jim, l’ainé, a mis une balle dans la tête de son frère qui devenait fou et menaçait de brûler le théâtre. Il y a eu un procès, Jim a été condamné à six ans de prison, il en a fait trois. Ce film leur a donc apporté célébrité et argent, mais aussi une suite d’événements qui ont abouti à ce drame. Jim est mort il y a trois ans, en 2007, mais il vivait encore jusqu’à la fin sur les bénéfices de Derrière la porte verte. C’était donc une affaire juteuse, un film qui a rapporté beaucoup d’argent et dont ils ont fait fructifier les bénéfices. Et qui en plus a bénéficié des faveurs de la critique un peu partout dans le monde ; on était dans une époque où c’était presque branché en fin de compte de favoriser ce type de films. Et là en l’occurrence, tout le côté esthétique a beaucoup servi le film. Même en France, où le Ministre de la culture de l’époque Michel Guy invitait ses amis à voir le film au Festival de Deauville, il organisait même des projections privées. Le film avait une aura assez proche de L’Empire des sens d’Oshima, c’était vraiment branché de voir ce film, c’était reconnu comme du haut de gamme. X-Intime - Pour finir sur une note légère, tu évoquais les poils des actrices tout à l’heure. Penses-tu qu’ils feront leur réapparition un jour prochain dans le porno ? Pierre Cavalier - Ça commence un petit peu à revenir, on en voit de plus en plus qui les laisse repousser. De toute façon, c’est un peu comme tout, la mode est très cyclique. Ça ne sera peut être pas aussi naturel que dans les années 70, mais oui, je crois au retour du poil !
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