Nous avons rencontrĂ© Luigee lors de la prĂ©sentation de Dis-moi que tu m'aimes Ă Panic CinĂ©ma en fĂ©vrier dernier, et lui avons directement sautĂ© dessus Ă l'issue de la sĂ©ance pour lui proposer une interview (finalement rĂ©alisĂ©e par mail). Fidèle colaborateur de John B. Root depuis dix ans, Luigee n'est rien moins que le meilleur compositeur français de musiques de films X. Pas dur, vous me direz, Ă©tant donnĂ©es les musiques d'ascenseur que l'on se tape bien souvent dans le porno. Mais le monsieur a un rĂ©el talent, qu'on a pu dĂ©jĂ remarquĂ© dans French Beauty, 24H d'amour ou encore dans le triple CD bande original. Nous ne pouvions pas ne pas le soumettre Ă nos nombreuses questions ! Filmographie sélective : 24 heures d'amour Dis-moi que tu m'aimes French Beauty Inkorrekt(e)s Sex Dreamers XYZ - Antoine et Marie Lien(s) : - La Grosse Major X-Intime - Peux-tu avant toute chose nous parler de tes dĂ©buts dans la musique ? Luigee Trademarq - J’ai commencĂ© ma formation très jeune (vers 3-4 ans) en massacrant les vinyles et la platine de mes parents et grands-parents. Je maltraitais les disques de Jacques Dutronc, Beatles, Stones, Mozart, Luis Mariano, Tom Jones, etc. Je les scratchais, faisais sauter l'aiguille avec mes LĂ©gos, et finalement les dĂ©coupais en morceaux que je remettais sur la platine dans le dĂ©sordre. Voyant cela, mon grand-père - violoniste professionnel - m'a enseignĂ© le solfège Ă la dure. Puis j'ai appris le piano, mais je prĂ©fĂ©rais le rugby et le judo donc j’ai laissĂ© tomber, et ensuite je suis rentrĂ© au conservatoire. X-Intime - Tu Ă©coutais quoi, Ă l’époque ? Luigee Trademarq - J'ai eu plusieurs rĂ©vĂ©lations vers mes neuf ans : je m'Ă©vanouissais en Ă©coutant le thème de Il Ă©tait une fois dans l'Ouest de Morricone, certains titres de Ray Charles ou des Beatles. A dix ans je dĂ©couvrais des tas de trucs dans l'Ă©norme discothèque du grand-frère d'un de mes potes, et Ă douze ans je me suis mis sĂ©rieusement Ă la guitare classique. Mais j'essayais de rejouer tout ce que je pouvais repiquer sur les disques pop, rock, blues, etc. Je suis plus tard passĂ© Ă la guitare et Ă la basse Ă©lectrique et j'allais quasiment tous les soirs après le lycĂ©e au Centre AmĂ©ricain Ă Paris oĂą j'apprenais avec les musiciens qui passaient par-lĂ donner des cours, surtout des bluesmen (il y avait aussi plein de filles super qui venaient danser dans ce lieu…). Après ça j'ai jouĂ© dans plusieurs groupes, je suis allĂ© Ă la fac de musique en apprendre plus sur la composition et l’électro-acoustique, j'ai Ă©tudiĂ© la contrebasse, et mon père m'a dit que je faisais ce que je voulais mais que je risquais de crever la dalle avec ce mĂ©tier (il n'avait pas vraiment tort). D'ailleurs je suis parti Ă©tudier et essayer de travailler Ă New York vers 23 ans ; lĂ j'ai appris beaucoup de choses en particulier sur le travail en studio, mais je suis rentrĂ© Ă Paris la queue entre les jambes et sans une thune ! Bon je m'Ă©ternise un peu, là … Pour finir j'ai eu de plus en plus de boulot et de contacts dans le mĂ©tier, donc j'ai continuĂ© (si j'avais trop galĂ©rĂ©, j'aurais fait autre-chose, du genre prof d'arts martiaux). X-Intime - Pourquoi ce pseudonyme de « Luigee Trademarq » ? Luigee Trademarq - C’est un pseudo que j’avais pris pour les films de John B.Root. “Luigee”, c’est une de mes premières copines qui m’appelait comme-ça parce qu’elle me trouvait un peu macho, et c’est restĂ©. “Trademarq”, c’était n’importe-quoi. Maintenant j’en ai un peu marre, je trouve que ça fait pizzaĂŻolo ! X-Intime - Etais-tu spectateur de films pornos avant de travailler dans ce milieu ? Luigee Trademarq - J’avoue que non, pas trop, sauf si tu ranges Russ Meyer dans cette catĂ©gorie. J’adore vraiment l’univers dĂ©lirant de ses films ainsi que leurs B.O., et ce cĂ´tĂ© burlesque me manque dans le porno en gĂ©nĂ©ral. Toutefois, mon premier contact avec le porno (avant B. Root) remonte Ă l’époque oĂą j’avais dĂ©crochĂ© un job d’étĂ© dans un vidĂ©oclub. Je devais avoir 16 ans et j’ai Ă©videmment visionnĂ© des films du genre Devil in Miss Jones ou encore Derrière la porte verte. Cela a fait voler en Ă©clat la vision ultra romantique que j’avais des filles Ă l’époque et je peux mĂŞme dire que ça m’a un peu perturbĂ© : après cette dĂ©couverte, je ne savais plus comment me comporter avec la gent fĂ©minine ! Bon, quand j’avais 16 ans, on ne baignait pas dans un Ă©talage de cul comme c’est le cas aujourd’hui, peut-ĂŞtre. A part les Ĺ“uvres de Johnny B. Root, les vieux Marc Dorcel et quelques classiques du genre, je n’ai pas une grande culture du porno et ce que je vois en gĂ©nĂ©ral a une lĂ©gère tendance Ă me gonfler ; je trouve ça rarement excitant. Disons que les scènes de cul ne sont Ă mon goĂ»t pas souvent bien mises en situation, et qu’ensuite voir un type fourrer pendant un quart d’heure, je ne sais pas… Il faudrait peut-ĂŞtre qu’il y ait plus de second degrĂ© ! Quant aux gonzos, ils me font autant d’effet qu’un documentaire mĂ©dical, et je trouve plutĂ´t loufoque la situation de regarder en boucle sur mon petit Ă©cran des gens payĂ©s pour baiser et rien d’autres (Je crois que je vais me faire mal voir sur ce site consacrĂ© aux joies du porno !). Bon, il y a quand-mĂŞme des trucs que j’ai bien aimĂ©, mais je ne me souviens plus des titres. X-Intime - Peux-tu nous raconter ta rencontre avec John B. Root et votre premier boulot ensemble sur un de ses films ? Luigee Trademarq - A l’époque, j’avais comme voisin de mon studio quelqu'un qui voulait produire des CD “interactifs” X et qui fit donc appel pour rĂ©aliser le premier Ă John (qui ne s’appelait pas encore comme ça). Comme je me trouvais dans les parages, ce dernier m’a naturellement alpaguĂ© pour composer la musique de ce qui devait devenir Virtual escort je crois, tout en prĂ©cisant que cela se rĂ©sumerait plus Ă du bruit de fond qu’à une bande-son. Un comble quand tu sais combien John est devenu petit Ă petit exigeant et pointilleux sur la musique de ses films (tant mieux) ! Du coup on est devenu de très bons amis et je n’ai jamais cessĂ© de collaborer avec lui. Et puis je me suis dit que la musique de porno Ă©tant d’habitude considĂ©rĂ©e comme le niveau zĂ©ro des B.O., voilĂ un “challenge” Ă relever digne de Bernard Tapie pour un sacrĂ© winner comme moi! X-Intime - T'arrive t-il d'assister aux tournages ? Luigee Trademarq - Non, ça n’est jamais arrivĂ©, Ă part peut-ĂŞtre quand John m’avait attribuĂ© d’office un petit rĂ´le dans un de ses films, oĂą je jouais aux flĂ©chettes avec Elodie ChĂ©rie et achetais une pizza Ă Titof le pizzaĂŻolo en lui faisant remarquer qu’elle avait l’air dĂ©gueulasse. NĂ©anmoins, j’ai bien le souvenir d’avoir dĂ©barquĂ© un jour dans les studios B.Root pendant un moment d’intense action oĂą le fougueux chevalier Seb Barrio chevauchait hĂ©roĂŻquement et bruyamment une pouliche apparemment pas encore totalement dĂ©bourrĂ©e, si j’en crois les gloussements sur-stridents qu’elle Ă©mettait durant cette Ă©pique cavalcade ! Comme je ne voulais pas dĂ©ranger, je suis parti attendre John au bistro. X-Intime - Comment John B. Root t’a-t-il prĂ©sentĂ© le projet Dis-moi que tu m’aimes ? Luigee Trademarq - D’habitude il me passe toujours un scĂ©nario, lĂ mĂŞme pas. Il m’a juste d’abord demandĂ© de composer la musique d’un clip plutĂ´t genre sixties (sa rĂ©fĂ©rence Ă©tait “Boots” de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra), ensuite il m’a racontĂ© l’histoire du film et comme indication pour la musique, il m’a Ă©voquĂ© un cĂ´tĂ© “Sud” et “râpeux”. Ce qui tombait bien vu que je retourne en ce moment Ă fond vers ce style que j’écoutais et jouais beaucoup durant mon adolescence. X-Intime - Il a Ă©crit les paroles de la chanson Un amant, maman. Comment s’est dĂ©roulĂ©e la collaboration sur ce titre ? Avait-il dĂ©jĂ les paroles avant que tu composes la musique ? Luigee Trademarq - Oui, il avait dĂ©jĂ Ă©crit les paroles, mais on les a adaptĂ©es Ă la ligne mĂ©lodique que j’ai apportĂ©e. Ensuite Graziella est venue au studio et a tout enregistrĂ© rapidement, en comprenant tout de suite l’esprit. Je pense qu’elle devrait persĂ©vĂ©rer dans le Rock & Roll, dont elle a une très bonne culture ! X-Intime - Y a t-il une chance pour que la musique de ce film soit un jour diffusĂ©e (en CD, en tĂ©lĂ©chargement lĂ©gal...) ? Luigee Trademarq - Oui, merci, mais pas en tant que B.O. du film. Je vais incorporer certains de ces morceaux Ă deux albums en prĂ©paration, dans des versions un peu diffĂ©rentes. Je vais les mettre Ă tĂ©lĂ©charger sur mon site, et certainement sortir un CD et vinyle. X-Intime - Que penses-tu du film terminĂ© ? Luigee Trademarq - Ce n’est pas un jugement de valeur, mais c’est sĂ»r, il y a un monde entre ce que j’imagine quand je compose et ce qu’il se passe Ă l’image quand la musique est montĂ©e sur le film, ha ha… Mais j’y trouve un cĂ´tĂ© comĂ©die Ă la française dans le style des BronzĂ©s qui me fait marrer. Je pense en tous cas que les amateurs de bon porno qui claque sont bien servis ! A part ça j’aimerais vraiment que John ait un jour les moyens de rĂ©aliser un long mĂ©trage pour le cinĂ©ma. C’est vrai qu’il est un peu bridĂ© par le manque de budget et de temps, bien qu’il en tire le maximum. X-Intime - Vois-tu une Ă©volution dans ta musique pour John (comme il peut y en avoir une dans son cinĂ©ma) depuis que tu bosses avec ? Luigee Trademarq - Oui, il y a une Ă©volution très nette. Comme je l’ai dit, lors de sa première rĂ©alisation, B.Root ne voulait qu’un bruit de fond pour accompagner les “H-H”; mais cela a très vite Ă©voluĂ© vers une demande de plus en plus pointue, d’autant que Sir John est un sacrĂ© mĂ©lomane Ă qui “on ne la fait pas” ! Je peux vous dire qu’il est devenu très exigeant. Ceci-dit, je crois qu’il me fait totalement confiance. Il me laisse une libertĂ© que je ne retrouve pas ailleurs, et c’est toujours un grand plaisir pour moi de travailler sur ses films. Depuis quelques annĂ©es, il aime les musiques plus acoustiques et “Lo-Fi”, moins produites. Ça tombe bien… De plus, il introduit plus de dĂ©calage qu’avant entre ce qu’évoque la musique et ce qu’on voit Ă l’image. X-Intime - J'ai sous les yeux l'album Bande original (un triple CD, compilation des meilleures musiques que tu as Ă©crites pour John)... Sympa la pochette ! Tu te souviens de la sĂ©ance photo ? Luigee Trademarq - Hum… Oui, bien-sĂ»r. J’étais assez Ă©mu. La plupart des filles prĂ©sentes sur la pochette travaillaient pour John, mais pas toutes ! La photo a Ă©tĂ© prise dans ses anciens locaux. A la sortie de l’album, quelques journalistes avaient trouvĂ© cette photo moche et ringarde, c’était un peu voulu. Le seul hic est la coupe de cheveux atroce que j’arbore lĂ -dessus, le responsable en Ă©tait mon coiffeur de l’époque, une dangereuse tarlouze maniaque... X-Intime - Que peux-tu nous dire de cet album ? Comment a t-il Ă©tĂ© reçu ? Luigee Trademarq - Cet album est sorti Ă l’initiative de mon ami Quentin Rollet, du label Rectangle (qu’il gĂ©rait avec le guitariste NoĂ«l AkchotĂ©). J’avais des tonnes de morceaux Ă©crits pour les films de John qui dormaient dans mes placards et Quentin m’a mis la pression pour que j’en compile une partie afin d’en faire ce triple. Je n’avais que deux mois pour tout remixer, tailler et “masteriser” Ă l’arrache, ce qui Ă©tait un gros stress pour le feignant que j’étais Ă l’époque ! J’étais un peu sceptique sur l’intĂ©rĂŞt de l’affaire pendant deux minutes, mais j’en fus très vite absolument ravi. Mon ami l’organiste Charlie O m’avait bien aidĂ© aussi. Le label disposant d’une bonne distribution internationale, l’album fut bien reçu avec une bonne presse, surtout aux Etats-Unis d’ailleurs. Ils devaient trouver ça exotique… J’ai eu des articles surtout dans la presse spĂ©cialisĂ©e dans les musiques underground, mais pas du tout dans les revues ou sites porno ! Du coup Bande original s’est vite trouvĂ© en rupture de stock et peu après Rectangle a mis la clef sous la porte. Maintenant c’est devenu un collector, sans parler du 45 tours PĂ©tassine (une composition de Charlie O et moi) avec Elodie ChĂ©rie! (Je vais mettre tout ça en tĂ©lĂ©chargement aussi). En bref je me suis bien marrĂ©, et si l’album est un peu inĂ©gal, il en ressort quelques pĂ©pites, non ? X-Intime - Tout Ă fait, je l’ai d’ailleurs fait Ă©couter Ă des amis il y a un mois, juste avant de nous rendre Ă l’anniversaire de Ian Scott. En dehors de John B. Root, y a-t-il d’autres rĂ©alisateurs (du porno ou pas) avec lesquels tu travailles ? Luigee Trademarq - Oui, je travaille avec d’autres rĂ©alisateurs mais pas dans le porno (personne ne m’a appelĂ© !), et sous un autre nom. J’ai pas mal de contrats avec des tĂ©lĂ©visions françaises et Ă©trangères et je postule en ce moment pour travailler sur des productions amĂ©ricaines. Mon rĂŞve absolu est d’écrire la B.O. d’un western contemporain, peu de gens en rĂ©alisent dans nos contrĂ©es ou ailleurs, mais ça viendra ! X-Intime - Quentin Tarantino vient d'Ă©crire un western, une sorte de pseudo-suite Ă Django. Il faut le contacter ! Luigee Trademarq - Merci pour l’info les gars, je vais sĂ©rieusement le faire dans trois minutes. J’aime beaucoup Tarantino et si j’ai le contrat, je vous invite au Quick de la gare de l’Est après un tour de pĂ©rif’ royal en Hummer-limousine “triple white” avec qui vous voulez dedans, promis ! Je prĂ©pare d’ailleurs en ce moment un album de musiques de western imaginaires, qui s’intitulera Personal Western, ainsi qu’un autre album de rock tendance nĂ©o-Surf. Je suis aussi en train de crĂ©er un label : La Grosse Major ( www.lagrossemajor.com, site en construction). X-Intime - Y a-t-il des compositeurs (de musiques de films ou non) qui t’ont marquĂ©, ou qui ont pu t’inspirer Ă un moment ou Ă un autre ? Luigee Trademarq - Oh lĂ , des centaines ! Principalement de la musique amĂ©ricaine et anglaise, mais la liste est vraiment trop longue. Ça va des Stooges et Cramps Ă Ennio Morricone en passant par le punk, Mozart, Elvis, Hank Williams et Johnny Cash, sans oubliĂ© Pierre Henry et les bluesmen de première gĂ©nĂ©ration. Bon j’arrĂŞte… X-Intime - Merci pour ces rĂ©ponses et bonne chance avec Quentin !
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